Les prisons surpeuplées et insalubres de la République Démocratique du Congo présentent un grave risque de propagation de l’épidémie de Covid-19 , menaçant la santé et la vie des détenus, des gardiens et de la population en général, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Depuis le 21 mars 2020, les magistrats ont remis en liberté un peu plus de 2,000 personnes en détention provisoire ou détenues pour des infractions mineures, afin de réduire la population carcérale du pays, selon la mission de maintien de la paix des Nations Unies, la MONUSCO. En RD Congo, environ 71% des détenus n’ont pas été reconnus coupables d’un crime ou sont toujours dans l’attente d’un procès. Les libérations devraient ainsi être multipliées d’urgence tandis que les personnes nouvellement arrêtées pour des infractions non violentes ou mineures ne devraient pas être incarcérées.
« Il est nécessaire que le gouvernement congolais prenne des mesures plus audacieuses pour éviter une crise majeure dans des prisons surpeuplées », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Il a hérité d’un système carcéral laissé à l’abandon pendant des décennies et maintenant que le Covid-19 est aux portes des prisons, le temps est compté avant le déclenchement d’une possible catastrophe. »
Le gouvernement congolais devrait rapidement décaisser les fonds alloués aux prisons et s’assurer qu’ils permettent d’offrir aux détenus une nourriture et des soins médicaux adéquats. Les conditions d’hygiène et d’assainissement devraient être améliorées, les familles des détenus autorisées à leur apporter de manière sécurisée des colis de nourriture dont ils dépendent, et les garanties judiciaires des détenus devraient être respectées.
Les prisons principales de la RD Congo affichent un taux de surcapacité moyen de 432%, selon la MONUSCO, ce qui les classe parmi les plus surpeuplées du monde. Les établissements pénitentiaires de Goma et Uvira, dans l’est du pays, sont à plus de 600% de leur capacité tandis que la prison centrale de Makala, à Kinshasa, l’est à 461%. Les détenus y sont entassés par centaines en cellules collectives et sans lits.
« Dans le pavillon où j’étais jusqu’à récemment, nous étions au moins 850 personnes dans un espace prévu pour 100 », a déclaré un détenu à Human Rights Watch. « Avec un tel nombre, quand il faut dormir, personne ne peut avoir plus d’un mètre carré d’espace, et c’est encore pire dans d’autres pavillons. Si le coronavirus atteint Makala, il n’y restera plus personne. »
Bien que mondialement recommandée pour empêcher la transmission du Covid-19, il est impossible d’imposer la « distanciation sociale » – soit deux mètres de séparation à tout moment parmi les détenus et parmi le personnel pénitentiaire, y compris pendant les repas et en cellules – dans les prisons congolaises. Ceci renforce la nécessité de réduire immédiatement la population carcérale.
Les personnes en détention provisoire pour des infractions mineures ou non violentes devraient être immédiatement remises en liberté. Les personnes âgées, les femmes et filles enceintes, les personnes handicapées et celles dont le système immunitaire est compromis ou qui sont atteintes de maladies chroniques qui les exposent à un risque plus élevé de complications dues au Covid-19, telles que les maladies cardiaques ou pulmonaires, le diabète ou le sida, devraient également être libérées en priorité, a affirmé Human Rights Watch.
Il est essentiel de limiter au maximum les transferts entre la garde à vue dans un commissariat et la prison, a ajouté Human Rights Watch. Des dizaines de nouveaux détenus sont amenés chaque semaine en prison, selon des sources onusiennes et des prisonniers. « Ils [les nouveaux détenus] arrivent en groupes et se mêlent à nous », a déclaré un détenu de Makala. « Mais nous ne savons absolument pas s’ils ont été testés – je ne pense pas qu’ils l’aient été. »
On ne peut dire avec certitude si les nouveaux détenus sont examinés pour déterminer s’ils ont de la fièvre ou d’autres symptômes. Des lieux d’isolement propres et qui ne soient pas punitifs devraient être aménagés pour les cas suspects de Covid-19.
Le 2 avril, le ministre de la Justice a
interdit les livraisons de colis et de repas provenant des proches des détenus, pourtant la seule source de nourriture pour la plupart d’entre eux, afin de minimiser les risques d’importer le virus au sein des établissements. Des détenus de plusieurs prisons du pays ont affirmé que cette mesure n’avait pas été appliquée car la plupart des directions en place reconnaissent la nécessité de ce soutien.
À Kinshasa, le 4 avril, des dizaines de personnes ont passé la nuit devant Makala en signe de protestation lorsque la direction a tenté d’appliquer la mesure. Les gardiens ont essuyé des jets de pierre, selon certains détenus. « Heureusement, ils ont levé cette mesure », a déclaré un détenu. « S’ils l’avaient maintenue, on n’allait pas mourir du coronavirus, mais de faim. »
Le Covid-19 se transmet principalement par contact rapproché et prolongé entre individus et rien ne prouve que la nourriture est un vecteur de transmission. L’interdiction des colis de nourriture ne semble ainsi pas répondre au souci légitime de protéger la santé des détenus. Même s’il existe un risque que les récipients soient contaminés, il peut être facilement réduit en les désinfectant.
La malnutrition et les maladies qui y sont liées sont depuis longtemps la cause de décès de détenus dans les prisons congolaises. Les détenus reçoivent au mieux un repas par jour, ce qui est dû en partie au fait que les portions alimentaires sont budgétées en fonction de la capacité des prisons et non pas de leur population réelle. Entre le 9 et le 13 avril, cinq détenus seraient morts « par manque de nourriture » dans la prison de Matadi, dans le sud-ouest du pays.
À Mbandaka, une ville de l’ouest, la prison ne fournit que rarement de la nourriture : « Des sœurs catholiques viennent deux fois par semaine et nous servent des haricots et des boules de manioc », a indiqué un détenu. « Nous ne savons jamais quand la prison nous donnera à manger, la plupart d’entre nous sommes alimentés par ce qui arrive de l’extérieur. »
Depuis janvier, toutes les administrations pénitentiaires ont dû acheter de la nourriture et des produits essentiels à crédit car les fonds du gouvernement n’ont pas été décaissés. Au moins 40 détenus sont morts de faim à Makala en janvier et 20 autres en février, selon la MONUSCO. Les caisses de la prison étaient vides depuis plusieurs mois et les détenus n’étaient pas nourris.
Le 2 avril, le ministre de la Justice a suspendu les visites d’avocats à leurs clients en détention. Le gouvernement devrait mettre en place une solution alternative sécurisée afin que les droits de tous les détenus soient protégés dans le contexte des restrictions dues à la crise du Covid-19.
Le 25 mars, la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a exhorté les gouvernements à réduire les populations carcérales, affirmant que « les mesures prises durant une crise sanitaire ne devraient pas porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes détenues, y compris leurs droits à l’eau et à une alimentation adéquate. Les garanties contre les mauvais traitements sur des personnes en garde à vue, notamment l’accès à un avocat et à un médecin, devraient également être pleinement respectées. »
Les autorités ont installé des points de lavage des mains dans certains centres de détention du pays mais selon les témoignages de détenus, l’accès à l’eau et à des installations sanitaires propres demeure un gros problème. « La prison n’est pas alimentée en eau – ce sont nos familles qui nous apportent de l’eau potable », a déclaré un détenu de la prison de Mbandaka. « Nous n’avons pas de lave-mains et les toilettes ne sont pas entretenues. Nous ne redoutons pas seulement le coronavirus mais aussi d’autres maladies, comme le choléra. »
À la prison de Munzenze, à Goma, un détenu a déclaré que le nombre de points d’eau pour le lavage des mains ne correspondait pas aux besoins. À Makala, l’eau est également rare. « Dans mon pavillon, il y a des robinets un peu partout mais l’eau ne coule pas. On a un seul robinet qui coule mais il ne fonctionne que deux ou trois heures par jour », a déclaré un détenu. « Vous pouvez imaginer comment les gens se disputent pour puiser l’eau. On nous dit que cette situation exige certaines distances à respecter, mais est-ce possible dans de telles conditions ? »
« Selon le droit international, le gouvernement congolais a l’obligation de protéger et de prodiguer des soins médicaux à tous les détenus », a affirmé Lewis Mudge. « Il devrait doter les prisons des moyens nécessaires de prévention et de lutte contre l’épidémie de Covid-19 afin de protéger les détenus et le personnel pénitentiaire, tout en garantissant le lien familial aux prisonniers ainsi que leur droit de communiquer avec un avocat. »
Texte de Human Right Watch
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