Le concept secte vient de ‘’sequi’’ qui signifie ‘’suivre’’, et non de ‘’secare’’ qui signifie ‘’couper’’. Dans la logique normale, l’aspect suivre un nouveau maître’’ est plus fort que l’aspect ‘’se séparer d’un autre mouvement’’. Dire d’un groupe qu’il est une secte, c’est porter sur lui un jugement dévalorisant. Par contre, dire ‘’c’est une Église’’, est valorisant. En effet, chez le sociologue allemand Max Scheller, la secte est définie par opposition à l’église : Église est une Institution de salut : l’insistance est mise sur le but ; tandis que la secte est un groupe contractuel : l’insistance est mise sur le lien.[1]
Traditionnellement, on classifie les sectes selon divers types et d’après l’idéologie correspondante. Il y a entre autres :
- secte conversionniste : dont l’idéologie est la conversion intérieure et personnelle. C’est le cas des mouvements pour Jésus ou pentecôtistes.
- secte réformiste : qui propose la réforme du monde par la réforme volontaire de la conscience. C’est le cas de Quakers.
- secte utopiste : qui voit cette réforme du monde au terme d’une reconstruction de la société à partir des seuls principes religieux. C’est le cas des Amis de l’Homme (Rastas).
- Secte révolutionnaire : pour laquelle le monde va être transformé radicalement par une intervention directe de Dieu. C’est l’action des Témoins de Jéhovah ou l’Église universelle de Dieu.
- Secte thaumaturgique : qui attend le salut et la sainteté d’un sauvetage direct et miraculeux de Dieu. Il s’agit d’Antoinisme et de Mahikari.
- Secte interventionniste : pour laquelle le salut est recherché par le repli sur une seule communauté religieuse après rupture avec la ‘’société corrompue’’. Cas de la Secte d’Amish et de Dévots de Krishna.
- secte manipulatrice : celle qui cherche des moyens surnaturels ou occultes ou des techniques purement humaines pour acquérir le salut. C’est le cas de la scientologie et de la Rose-croix.
Toutefois, le phénomène des sectes connaît des variations infinies, d’où la difficulté de les classer. Tout de même, on assiste aujourd’hui à la constitution d’une sorte de ‘’religieux’’ fluide et mouvant. La prolifération sectaire est marquée par une forte connotation gnostique. C’est pourquoi, on parle de nouveaux mouvements religieux.[2] Voilà qui nous conduit à scruter les contextes et les enjeux de la floraison de sectes en Afrique.
Contextes et enjeux de la prolifération des sectes en Afrique
On ne saurait pas admettre, comme d’aucuns nous le font croire, que les sectes sont une invention africaine. Jadis, au temps de Jésus, la secte était un mouvement de protestation contre le pouvoir et les Églises en place. En fait, le judaïsme comprenait différents mouvements : Pharisiens, Sadducéens, Esséniens, Zélotes. A ses origines, le Christianisme apparaît comme une secte par rapport au judaïsme. Depuis 2000 ans, le christianisme a rencontré l’opposition de sectes, s’est divisé en diverses églises. Le contenu de la révélation s’est précisé à la faveur des questions soulevées par les diverses dissidences.[1]
Selon le diagnostic du père Yves Morel, notre époque a vu apparaître de nouveaux types de sectes dans la suite des mouvements de contre-culture des années 60 en Occident : ces nouvelles sectes s’adressent plus particulièrement aux jeunes, d’où des réactions de rejet à leur égard. Auparavant, seules les Églises officielles luttaient contre elles. Aujourd’hui, la société civile se sent concernée puisque des jeunes sont détournés des familles. Avec le développement des différents types de sectes, ce phénomène de société qu’est la secte est devenu planétaire.[2]
La prolifération des sectes actuellement n’est pas un fruit du hasard. Les mouvements sectaires trouvent un climat propice dans une société minée par le matérialisme et le vide spirituel, une société dans laquelle il n’est pas aisé de trouver une réponse aux grandes questions et aspirations de l’être humain.
En effet, la multiplication des sectes, Églises indépendantes, nouveaux mouvements religieux et prophétiques, est, sans nul doute, l’une des « réalités qui traversent la totalité des régions d’Afrique ». Les « sectes et bien des mouvements religieux constituent une cause du sous-développement en de nombreux États africains, par l’élaboration d’une véritable contre-société ou sous-culture obscurantiste, provoquée par une forme de réorganisation de l’ordre social et par l’instauration de carcans mentaux. De plus, ces groupes se font les auteurs de dangereuses tactiques manipulatrices d’endoctrinement, de contrôle intellectuel, de mise sous telle et de processus inacceptables, tant moraux que psychologiques, sur les ‘’victimes’’ appartenant la plupart du temps aux couches défavorisées, économiquement et socialement »[3].
Il y a à parier fort que la détresse et la crise existentielle actuelle conduit plusieurs personnes à chercher une évasion qui les soulage des pressions de la vie et une sécurité intérieure qui les aide à supporter les tensions inévitables.
À croire les experts en sociologie des religions, il y a quatre phénomènes à souligner qui constituent le terrain convenable au surgissement et à la prolifération des sectes. Il s’agit de l’angoisse, la frustration, la perte d’identité et la protestation. Disons un mot sur chacune.
L’angoisse, due surtout au rapide et convulsif changement que connaît la société, à l’instabilité et la crise d’institutions traditionnelles importantes, telles que la famille, l’Église et l’école, qui étaient considérés, il y a peu, comme des lieux par excellence de la configuration de la personnalité des individus.
Vient ensuite la frustration socio-culturelle, qui se fait sentir plus dans quelques collectifs comme les jeunes ou les femmes, et qui, par surcroît, réveille chez plusieurs d’entre eux le désir de structurer leur vie de manière tout à fait différente.
En plus, il y a le sentiment de perte d’identité et la froideur des relations fonctionnelles, qui conduisent nombreuses personnes à rechercher dans un nouveau groupe la chaleur fraternelle et affective qui manque en famille.
Si les sectes sont très attrayantes, c’est parce qu’elles paraissent apporter la réponse dont l’homme actuel a besoin. La secte offre, en premier lieu, la sécurité face au désarroi existant. Celui qui adhère à une secte se croit déjà sauvé comme si tout paraît aller de soi : tout le mal est désormais resté en dehors de l’environnement religieux de la secte. Pour ses adeptes, la lumière et le salut sont à la portée de la main.
Qui plus est, la secte offre en même temps une réponse au sentiment de frustration. Le nouveau membre adhérent est accueilli avec toute sa dignité d’homme. On y prétend offrir une vraie révélation qui échappe aux autres qui sont en dehors de ce mouvement. Le pasteur se présente en ‘’sauveur’’, thaumaturge, et donneur des solutions à toutes les préoccupations : manque d’emploi, mariage, pauvreté, maladies, etc. C’est dire que la secte libère l’individu de l’anonymat et l’élève en quelque sorte. Désormais, il est rapidement séduit, au moins à la première phase, par la chaleur affective et fraternelle ainsi que l’amour existant au sein du groupe. Enfin se fait remarquer un sentiment de protestation contre les églises officielles. Disons donc que positivement, « nous sommes impressionnés par le fait que plusieurs membres d’anciennes Églises missionnaires les quittent pour adhérer aux discours fascinants des leaders de ces Églises et ces sectes. Ce qui nous pose la question d’une possible interpellation de ces nouveaux mouvements qui doivent avoir soit dans leur pratique, soit dans leur doctrine, des éléments qui manquent dans les vieilles Églises et qu’elles développent, elles, pour ainsi attirer les Africains en quête de ce qui leur conviendrait »[1]. En plus, à en croire Mgr Tharcisse Tshibangu Tshishiku, les Églises indépendantes participent à la rénovation sociale en sécurisant les membres contre les forces traditionnelles du mal, de la sorcellerie ; elles prennent en charge le souci de la santé tel que le vivent concrètement les négro-africains ; en milieu urbain, elles offrent également un cadre de sécurité, de solidarité et d’hospitalité à des laissés-pour-compte, au sein des villes anonymes et de plus en plus cruelles ; elles ont été parmi les premiers à réhabiliter le génie artistique africain en adoptant des instruments d’accompagnements longtemps ignorés par des églises établies ; elles se présentent comme
des lieux de revalorisation des religions africaines en reconduisant les thèmes de vie, de solidarité, de sacré.[1]
- Quand le phénomène secte énerve les esprits
Toutefois, le spectacle désolant auquel nous exposent les sectes, surtout dans les grandes villes retient notre attention. Que du bruit dans les quartiers de Kinshasa : il y a soit les cris d’un pasteur qui prêche avec des haut-parleurs et micros, soit les excitations d’une assemblée qui prie à haute et vive voix donnant lieu à un brouhaha remarquable, soit les chants accompagnés par les tam-tams et d’autres instruments amplifiés (guitare, synthétiseur), tout au long des journées et parfois, ou même souvent, jusque tard dans la nuit[2]. Ces tapages diurnes et nocturnes empêchent tant des citoyens —qui s’en plaignent d’ailleurs devant le silence quasi coupable de l’autorité publique— à bien se reposer la nuit ou à bien travailler ou étudier pendant le jour.
Revenons à la frustration socio-culturelle. Elle vient plus tard. Lorsque l’individu se sent esclave d’une organisation fanatique et intransigeante qui détruit (déstructure) sa personnalité et pervertit sa croissance humaine.
Selon les experts, les sectes représentent dans les sociétés modernes, une vague déferlante des soldes religieux qui appauvrissent la transcendance de Dieu et mettent à la disposition de l’homme d’aujourd’hui l’expérience religieuse sous diverses méthodes et climats émotionnels. Au milieu de ce climat, le christianisme ne devrait pas oublier que Jésus n’est pas venu ‘’apporter la paix sur la terre’’, mais plutôt il est venu ‘’attiser le feu’’ (Mt …). L’expérience religieuse authentique peut apporter la paix spirituelle et l’équilibre émotionnel, mais l’évangile n’est pas une nouvelle tranquillisante et encore moins une morphine. C’est inutile de ‘’décaféiner’’ la religion. Le plus important n’étant pas de ‘’disposer’’ de Dieu à notre portée, mais bien plutôt de répondre fidèlement à son Mystère.
Bref, cette situation est corollaire aux enjeux de la culture postmoderne qui souffle déjà partout et se caractérise, entre autre, par l’assombrissement et la déification de l’homme ou rejet de Dieu ou encore apostasie silencieuse, jusqu’à la désacralisation de la vérité. On est à la recherche d’un Dieu bouche-trou, un Dieu faiseur des miracles. Rien qu’à entendre le contenu des prières et des chansons de sectes et mouvements religieux pentecôtistes, on se rend compte du degré de l’aliénation au matériel, à l’argent, au temporel… En ce domaine, les musiciens et chanteurs congolais dits ‘’chrétiens’’ battent tous les records.
Nous sommes invités à chercher le vrai Dieu de Jésus-Christ à travers la praxis d’une religion pure et réfléchie (fides quaerens intellectum), d’une vie vertueuse basée sur l’amour —à Dieu et au prochain— et l’obéissance filiale. Sans l’amour, la vie se désintègre et perd son sens. Alors qu’ils sont nombreux ceux-là qui croient découvrir sous l’agressivité, la violence, la frustration de la société actuelle un immense besoin d’union et de communion.
Tout compte fait, les sectes constituent un véritable défi pour les grandes Églises, et notamment l’Église catholique qui est appelée à une remise question certaine de ses méthodes d’évangélisation pour une ‘’sortie missionnaire’’ susceptible d’inculturer sérieusement le donné révélé dans les cultures des gens. C’est le travail d’une ‘’théologie missionnaire et d’une annonce de l’Évangile véritablement inculturées’’[1], face à une sorte de’’délégitimation’’ de grandes religions historiques qui ne sera pas étrangère à la prolifération de la légitimité prétendue par d’innombrables mouvements religieux ou sectes en vogue. De fait, « les Églises indépendantes, ose affirmer Dieudonné Mushipu, ont perçu, avant les Églises missionnaires que l’Africain avait besoin d’un ‘’prier’’ propre, d’une vie avec le Christ fondée sur une conception du monde, de l’homme et de l’univers toute différente de celle de l’Occident. Voilà un signal d’alarme de temps qui, pour ces africains, fait naître une ‘’contre-Église’’, et peut-être plus encore comme une contre-société où les déficiences des Églises et de la société sont dénoncées, et ou les nouvelles espérances sont, souvent, basées sur une expérience religieuse spécifique. Ce phénomène se présente sous forme d’une réorganisation de l’ordre social dans le domaine religieux. Leur vision est à comprendre dans le sens d’une conscience nouvelle dans la manière de penser l’homme et la religion »[2].
Cet apport positif pris au sérieux par les adeptes et les
leaders religieux serait un levier du développement intégral de tout homme et
de tout l’homme en Afrique. Mais le constat sur des déviations et la recherche
effrénée des satisfactions immédiates matérielles précipite le déclin de toute
ambition religieuse ouverte à la transcendance. Il appartient donc à la
théologie, comme discipline scientifique et rationnelle, de répondre aussi bien
à l’interpellation des sectes qu’à leur manipulation. La théologie africaine est invitée sur scène
afin de prendre en charge le défi des sectes pour apporter des réponses
appropriées aux peuples africains désorientés par ce phénomène.[3]
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